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2010 : Guillaume Mansart, TTrioreau : le spécifique au carré, Zéro Quatre, p. 16, numéro 7, automne / http://www.zeroquatre.fr
TTrioreau : le spécifique au carré
Il y a comme une atmosphère de siège au centre d’art du Fort du Bruissin. Mises à part l’histoire et l’architecture de ce bâtiment singulier (un fort construit en 1881, devenu obsolète avant même la fin de sa construction du fait de l’augmentation de la portée des canons, réquisitionné par les nazis pour en faire un site stratégique, « bunkerisé »), dès l’arrivée sur les lieux, l’ambiance semble… posée.
Cela tient sans doute à la présence de l’œuvre de Joris Van de Moortel consistant en l’obturation à l’aide de briques de toutes les fenêtres de la façade. D’emblée le lieu paraît se refermer sur l’exposition et annonce ainsi ce qui attend le visiteur qui déciderait d’aller à l’intérieur, à la rencontre des oeuvres de TTrioreau.
Il n’est pas tout à fait anodin qu’au premier regard le lieu parle de concert avec l’œuvre tant la question du site specific habite l’exposition centrale.
Comment une pièce créée dans un contexte peut-elle exister par-delà son origine ? Comment réactiver des créations spécifiques sans les faire tomber dans le générique ? Comment faire en sorte qu’on ne regarde pas les oeuvres « comme autant d’invalides inanimés attendant le verdict du critique qui les prononcera curables ou non » (pour citer Robert Smithson dont le fantôme hante les couloirs) ? Bref, montrer des oeuvres et tenter de préserver ce qui les rend actuelles.
Si les pièces de TTrioreau rendent ici compte de près de 15 ans de production, il convient néanmoins de se défendre de la rétrospective. Car, plus qu’un regard vers le passé, c’est la question du présent qui se pose. Le présent à travers le corps du spectateur qui visite l’œuvre en tête à tête en ouvrant une porte et en la fermant derrière lui. Alors les conditions de la rencontre semblent rassemblées. BP 297 – 9 rue Édouard-Branly, 18006 Bourges cedex… est sans doute l’exemple le plus évident de ce désir de faire exister l’intention de l’œuvre par-delà les expositions. Constituée d’un ensemble d’éléments qui signalent différentes étapes de son développement (2001-2004-2010), la pièce s’organise comme une structure protéiforme composée de caissons lumineux, de formes sculpturales, de catalogues et de mobilier de présentation. L’artiste procède par cristallisation et l’œuvre développe ses branches à chacune de ses réactivations. Dans la salle d’exposition, la concrétion des différentes étapes écrit la dynamique d’un projet en constante redéfinition. Les oeuvres de TTrioreau renvoient à quelques grandes figures de l’histoire récente de l’art, de Robert Smithson à Brian O’Doherty en passant par Le Corbusier. À travers elles, c’est la question de l’analyse des territoires qui survient, le territoire de l’œuvre, de l’art, de la ville… Mais par-delà sa nature spatiale, l’exposition développe également une dimension temporelle. Elle compose une trame cinématographique en mettant côte à côte un ensemble d’œuvres-séquences construites sur la durée. Une scène avec son unité de temps et d’espace renvoyant à une autre, l’histoire s’écrit peu à peu dans les transversalités et les correspondances. Et le travail de TTrioreau s’offre alors en amplitude en évitant avec vivacité l’écueil de la monographie rétrospective.