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2005 : Ariane Warlin, Un artiste producteur d’oeuvres, interview, Carat Culture, le magazine de l'activité culturelle #01 / http://www.caratculture.com
TTrioreau – Hervé Trioreau - Un artiste producteur d’oeuvres
AW : Quelle est votre définition de l'artiste? Quelle est sa place et son rôle dans la société ?
TT : L'artiste, c'est celui qui arrive à susciter un autre regard. En ce qui me concerne, j'ai envie de donner une vision de l'architecture différente de l'approche classique, en montrant par exemple qu'il n'y a pas forcément besoin de fondations car c'est le projet qui met l'institution en mouvement. Pour moi, le rôle de l'artiste est d'ouvrir des frontières, de décaler notre approche du quotidien et de l'espace.
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2, rue Gaston Guillement, 85200 Fontenay-le-Comte, France, 2003
Collaboration/Co-production : Ville de Fontenay-Le-Comte, Liaume SA entrepriseLa façon de travailler a considérablement évolué. Comment les artistes produisent-ils leurs œuvres aujourd'hui ?
Les artistes sont obligés de beaucoup se démener pour arriver à produire un projet, afin notamment d'obtenir les financements nécessaires. Il convient par exemple de se déplacer auprès des services culturels ou des DRAC. C'est une aide publique qui m'a mis le pied à l'étrier, à la fin des années 90, quand je me suis lancé dans un système d'autoproduction. J'ai ainsi travaillé avec l'aide du Centre de Création Contemporaine de Tours. Ce premier projet, baptisé " Bruits secrets ", était assez ambitieux car j'avais imaginé un " travelling " qui nécessitait un ballon hydraulique de presque cinq mètres de hauteur. Il m'a fallu solliciter des partenaires privés pour le mener à bien, et c'est finalement la société Appydro qui a accepté d'investir ses compétences.
Dans mon cas personnel, le travail mené avec les enseignes ne s'est jamais traduit par un financement direct, mais a pris la forme d'un apport en matériaux et en compétences. J'ai en effet eu l'occasion de solliciter différentes sociétés privées comme St Gobain (qui m'a procuré du verre Securit) ou encore la société Liaume (qui m'a fourni une pièce de métallerie). Mais il n'est pas toujours évident d'approcher ces entreprises, même quand elles affichent une activité de mécénat culturel. Et la stratégie du " forcing " est souvent de mise !Face à la complexité de ce système, comment les artistes parviennent-t-ils à s'en sortir sur le plan économique ?
C'est effectivement un système difficile et qui ne va pas en s'améliorant car le budget alloué aux arts plastiques par les DRAC a tendance à baisser, alors que dans les autres disciplines artistiques, il demeure inchangé. L'absence de retour sur investissement est sans doute responsable de cette évolution. En effet, je n'ai jamais vendu les pièces sur lesquelles j'ai travaillé. En revanche, je me rémunère en honoraires auprès des institutions qui exposent mes œuvres. Mais comme beaucoup, j'ai un emploi en parallèle, en totale adéquation avec mon métier d'artistes, puisque j'enseigne à l'école des beaux arts de Bourges.
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Convertible - Extensible Mezzanine, France, 2003
CCC - Centre de Création Contemporaine, Tours, France
Collaboration/Co-production : Spot'Light, Liaume SA entrepriseA ce sujet, pensez-vous que les artistes sont bien formés ?
Un certain nombre d'enseignants appartenant à une autre génération ralentissent l'ouverture aux nouvelles techniques. Les étudiants maîtrisent mal le milieu en sortant des écoles d'art, lesquelles sont trop ancrés dans la pratique, alors que paradoxalement, ce n'est plus l'essentiel du travail des artistes.
Dans le cadre de vos projets sur le réseau urbain, en établissant des jonctions dans les rapports intériorité / extériorité, vous remettez en cause l'approche traditionnelle de l'architecture. Est-ce que cela correspond à une volonté politique? Considérez-vous votre art comme " engagé " ?
Oui. Et il s'agit aussi d'un engagement par rapport à l'histoire de l'art. Les édifices perdent leur caractère prestigieux de création architecturale pour se réduire à un investissement de capital, lequel, au moment où il ne rapportera plus, se déplacera ailleurs. Je considère l'architecture comme une discipline sociale et sociétale, dans le sens où elle s'intéresse aux styles de vie. Mes projets s'inscrivent dans un environnement contemporain, et je prend en considération la personne qui va venir voir l'exposition.
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2, rue Gaston Guillement, 85200 Fontenay-le-Comte, France, 2003
Collaboration/Co-production : Ville de Fontenay-Le-Comte, Liaume SA entrepriseComment passe-t-on du concept à la réalisation ?
Un concept est issu de plusieurs paramètres liés à l'histoire de l'art et à l'artiste lui même, mais prend également forme par rapport à un lieu, un site, ou un positionnement. A la jonction de ces deux réalités, va naître un projet qui va s'affiner au gré des lectures, des croquis, des rencontres… J'utilise beaucoup de logiciels d'architecture afin de visualiser le positionnement d'un projet dans l'espace ou bien le fonctionnement des éclairages. Ensuite, pour lui donner corps, je suis amené à travailler avec des artisans. Ce travail collectif me semble aujourd'hui indispensable.
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BP 297, 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges Cedex, France, 2001
La Box, Bourges, France
Co-production : Saint Gobain Glass France, Sipa labo, Agence d'Artistes du Centre de Création Contemporaine de ToursEt pour financer ces projets ?
Devenu " multi-casquettes ", l'artiste endosse son costume de commercial et va frapper à différentes portes pour obtenir des financements : DRAC, partenaires privés, mais aussi écoles d'architecture et des beaux-arts. En effet, ces écoles possèdent non seulement un savoir-faire et des outils, mais aussi un puissant réseau. Mais cela ne suffit pas. J'avance beaucoup d'argent sur mes fonds propres, que ce soit pour financer mes projets ou voyager dans le but de les promouvoir. Pour le moment, cet investissement se fait le plus souvent à perte, mais il est indispensable de prendre des risques.
Peu de gens savent que les artistes aujourd'hui sont obligés de constituer une mini-entreprise. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je dispose d'un numéro de siret, d'un code APE…
Il n'est pas rare qu'au bout de quelques années, ces entreprises grandissent, et que les artistes embaûchent des secrétaires, des assistants….L'artiste est aujourd'hui davantage dans une stratégie d'élaboration d'un projet que dans la fabrication de ce projet lui même.
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BP 297, 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges Cedex, France, 2001
La Box, Bourges, France
Co-production : Saint Gobain Glass France, Sipa labo, Agence d'Artistes du Centre de Création Contemporaine de ToursComment l'artiste parvient-il à assurer une visibilité à son oeuvre ?
Le fait de disposer d'un catalogue est un atout majeur. C'est en effet un concentré d'informations, et par là même un outil de promotion. Cela permet d'être connu à l'échelle internationale, ce qui est très important. Récemment encore, j'ai présenté un projet à Hong Kong. Grâce à l'aide de l'AFFA, je peux y retourner assez régulièrement. Cela me permet de réfléchir à mon projet et en prenant du recul, de le reconfigurer. J'ai également eu la chance d'être missionné par le Ministère de la Culture pour être commissaire à l'occasion de la biennale de Montréal de 2006.
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Convertible - Extensible Mezzanine, France, 2003
CCC - Centre de Création Contemporaine, Tours, France
Collaboration/Co-production : Spot'Light, Liaume SA entreprisepropos recueillis par Ariane Warlin