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2007 : Christian Ruby, Pour un espace de délibération, Urbanisme, p. 11, numéro 352, janvier-février / http://www.urbanisme.fr
Pour un espace de délibération
L’association Entre-deux, forme relais entre les artistes et un territoire, spécialisée dans l’art public, présente une réalisation de l’artiste TTrioreau. Cette œuvre se déploie en trois lieux sur le territoire des villes de Nantes et Rezé. La ville fournit ses contenus à l’artiste : le réseau urbain, l’architecture, le flux… autant d’éléments qu’il prélève, déplace, rapproche afin de donner au public de « nouvelles » images de la ville. L’artiste intervient dans la ville afin de provoquer des discussions entre les habitants.
L’œuvre est intitulée PRYSM. Elle ne porte pas tant sur l’architecture que la question du cadrage à partir du point de vue du spectateur-habitant : comment, dans la situation urbaine, un objet ou un espace en cadre un autre, et quelles en sont les conséquences ? PRYSM fait jouer les structures de construction, ces cadres à partir desquels se forme notre regard.
Ces structures se succèdent et ouvrent une perspective qui s’étire de la Cité Radieuse de Le Corbusier à Rezé jusqu’au quartier des Dervallières, au nord-ouest de Nantes, en passant par le terrain de la Meuse, dans le bas de Chantenay. L’artiste a conçu des objets/écrans répartis sur cette trajectoire inédite. Ils ont à leur charge de matérialiser, en contrepoint de la cité de Le Corbusier, une succession de paysages « sans qualité », sortes de no man’s land, notamment ceux du terrain de la Meuse et des immeubles des Dervallières. Ils confrontent des types d’habitat social.
PRYSM se décrit ainsi : au centre du terrain, TTrioreau installe un large panneau, format cinémascope, composé de prismes en miroir ; ces derniers réfléchissent l’espace, les bâtiments alentour et les voies routières avoisinantes. Cette œuvre exploite l’image projetée sur des écrans successifs dans une logique autant spatiale que temporelle. Elle crée un paysage marquant, grâce aux composantes formelles (graphiques, colorées et structurelles) prélevées à la fois sur l’architecture de Le Corbusier et sur la cité des Dervallières, archétype des grands ensembles des années 1970. PRYSM n’est pas une œuvre simplement intégrée aux différents espaces. Elle les occupe, les transforme, les transgresse afin d’en offrir une nouvelle interprétation. Un peu à la manière dont l’artiste Olafur Eliasson cherche, lui aussi, à modifier la façon dont notre environnement est agencé et à suggérer des relations d’un genre différent.
Il est important que ce projet trouve son aboutissement aux Dervallières, parce que ce quartier d’habitat social est entré en phase de rénovation urbaine. L’un des objectifs de ces mutations est le désenclavement du quartier et se traduit concrètement par la destruction des immeubles qui le ceinturent.
Le propos de l’œuvre de TTrioreau expose de quelle manière et à quelles conditions le spectateur-habitant voit, discerne quelque chose dans l’espace public. Cela étant, l’œuvre va encore un peu plus loin, en ce qu’elle cherche à provoquer des rencontres à l’intérieur de l’espace choisi. Ce pourquoi l’artiste lui a associé une « table d’orientation » présentant l’image de l’implantation du panneau à prismes, ainsi qu’une maquette de la Maison Radieuse de Le Corbusier, exposée dans les locaux de l’association.
Soutenue par la Ville de Nantes, la Drac des Pays de la Loire et la Région des Pays de la Loire, en partenariat avec le Frac des Pays de la Loire et l’Ecole régionale des beaux-arts de Nantes, cette réalisation est programmée par l’association Entre-deux, qui se donne pour objectif de renforcer « le rôle prépondérant de l’espace public, entendu comme espace de délibération ». L’urbanisme « a besoin d’un art public ad hoc ».
Christian Ruby, philosophe