solo exhibitions
2001 : BP 297 - 9, Rue Edouard-Branly, 18006 Bourges cedex, La Box, Bourges, en collaboration avec l’Ecole nationale supérieure d’art de Bourges, le Ministère de la Culture et de la Communication, la Drac Centre, le Conseil Régional, le Centre d’Etudes et de Développement Culturel de la Ville de Bourges, avec le concours de la Miroiterie du Berry, de Saint Gobain Glass France et de Sipa labo et avec la participation de l’Agence d’Artistes du Centre de Création Contemporaine de Tours / http://www.ensa-bourges.fr
BP 297 - 9, Rue Edouard-Branly, 18006 Bourges cedex
Les propositions de TTrioreau s’inscrivent dans une réflexion liée à la nature du réseau urbain. Leurs installations agissent sur la structure même de l’espace construit et produisent des déplacements qui perturbent notre perception. Elles désignent de façon politique le caractère normatif de l’architecture, la soumission des villes aux lois du marché.
Son travail se concentre sur un examen des intervalles urbains, des articulations entre intériorité et extériorité, espaces privés et espaces publics, ou encore, entre art et architecture.
Sensibles à l’histoire des utopies urbaines et sociales, TTrioreau crée « in situ » et principalement hors des lieux d’exposition.
Alice Laguarda, philosophe et architecte, éditions Jean-Michel Place
Contre-architecture utopique
« Les expositions d’art auront à l’avenir pour mission de montrer la peinture et la sculpture dans le contexte de l’architecture, de redonner vie au sens initial des arts plastiques qui est d’avoir une fonction dans la construction ».
Réponse au questionnaire de l’Arbeitsraf für Kunst, Walter Gropius
L’architecture, dans son idéal, est une tentative d’expliquer la société par sa construction même, c’est l’ultime forme qui pousse tous les arts à s’affirmer aux yeux de tous. Elle place l’humanité au centre de son logis où s’abrite ses convictions et ses motivations premières. L’architecture représente la première des grandes utopies sociales : elle déplace le sujet sur le giron de sa communauté. Toute maison est une topo-utopie, une île posée sur l’erg du monde, comme le furent en leurs temps la cité et le temple. Maison communautaire ou non, c’est la première des utopies réussies ou ratées. C’est un refuge et c’est un centre : un lieu d’abandon, de réflexion, de mémoire, de retranchement actif qui va s’associer à l’enfance, à la famille, au groupe… Sa construction, son orientation, ses matériaux, valident l’histoire culturelle d’un peuple, d’un pays, d’une époque .
L’histoire jeune de protaTTrioreau commence en 1995 lorsque deux tourangeaux passionnés d’architecture, Vincent Protat et Hervé Trioreau, se retrouvent dans un hangar voué à la destruction où ils élaborent ensemble leurs premières réflexions et expérimentations sur l’architecture urbaine et son rapport aux arts plastiques. De l’aventure architecturale à l’aventure du voyage, les voilà déjà partis vérifier leurs concepts en examinant des appartements proliférant dans une grande métropole asiatique en mutation accélérée. Observant les gens qui y vivent, constatant l’organisation architecturale et spatiale des bidon-villes et la construction spontanée justifiée par la paupérisation, ainsi qu’ils l’ont entrepris à Hong-kong, ils en reviennent pour s’investir et l’appliquer dans le décalage de leur région. C’est à Tours, dans une maison abandonnée près du Centre de Création Contemporaine, qu’ils montent un projet en apparence burlesque permettant aux visiteurs de découper chirurgicalement le corps du bâtiment au scalpel visuel. L'intervalle, le passage, l’hybridation, le métissage, la prothèse architecturale, la géopolitique, l’interface sont autant de données qui fondent l’analyse entreprise dans leurs recherches : une architecture modulaire qui procède par agrégats, raccordements, entassements, juxtapositions et qui trouvent ses applications artistiques dans une dimension humaine.
Contre-architecture mobile / contre-architecture labile
Pour les futuristes italiens et russes, que ce soit Marinetti, Lioubov Popova ou Alexandre Vesnine, l’architecture en aucun cas ne devait être statique ou rigide, mais se devait, au contraire, d’être constamment en mouvement comme l’eau de la mer, mouvements de la machine reprenant la gestuelle moderne, ou encore composée de matériaux vaporeux ou nuageux. L’immense structure transparente de Tatline pour le siège de la Troisième Internationale de 1919, dont la maquette fut promenée dans toutes les rues, était composée d’une spirale d’acier sur un axe asymétrique, des corps de verre à révolution interne, et munie d’un système de projection de textes dans le ciel par temps couvert, un projet qui marque encore des artistes contemporains ainsi que Michel Aubry l’a récemment démontré au Centre d’art contemporain de Vassivière en Limousin. En 1919 encore, l'expressionniste Bruno Tant sort un portfolio intitulé Architecture alpine dans lequel il imagine un monumental ensemble de cathédrales de verre resplendissant au milieu de chaînes de montagne, tandis que l’architecte russe Georges Kroutikov dessine lui, en 1928, un bâtiment flottant dans l’espace. Aujourd’hui, et pour aller hâtivement, l’artiste polonais contemporain Krzysztof Wodiczko, connu pour ses « projections publiques », dénonce pour sa part « la principale occupation du monument » qui se doit de rester immobile, d’être enraciné en permanence dans le sol et s’abstenir de tout mouvement visible, afin d’annexer par là même son idéologie sur le temps et le territoire. L’architecture valide ou dénonce donc aussi une forme de stratégie, une stratégie dans ce cas qui n’est pas nouvelle quand, pour reprendre la fameuse phrase de Mirabeau prononcée aux députés des communes : « il leur suffit de rester immobiles pour se rendre formidables à leurs ennemis ».
Un dispositif faisant irruption aux flux de circulation : l’obstruction comme invitation
La Box , à Bourges, est un lieu d’exposition juxtaposant l’Ecole nationale des beaux-arts de la Ville. C’est un lieu de dimension modeste, séparé en deux salles inégales en surface : la première ayant une entrée sous un porche et la seconde percée de trois porte-fenêtres vitrées (1500 mm x 3800 mm chacune) donnant sur une rue extérieure. Le binôme protaTTrioreau est intervenu, dans le cadre de leur résidence, du 25 janvier au 2 mars 2001, et a pris connaissance du lieu et de son environnement. Sachant l’analyser, ils ont investi l’espace dans le but d’en faire une architecture en rupture, sculpturale et spatiale, dialogique, fixe et labile, ouverte et fermée, mouvante et agissante à la fois sur elle-même et sur le monde extérieur. A cet effet, les baies vitrées ont été déposées, les passages, ainsi ouverts, permettant alors aux passants de pénétrer l’architecture à condition de lever le pied, et de parcourir la salle dans sa largeur sur un parcours obligé, guidé par des cloisons vitrées. Les espaces de la galerie et de l’œuvre se font le piège d’un processus bifide et composé où les statuts basculent dans un rapport physique et visuel. Le piéton, entre inclusion et exclusion, dans ce double mouvement, se fait par là même autant visiteur que sujet à voir, et qui troque sa position de sujet regardant de son aquarium et de sujet regardé par derrière la vitrine, la première salle demeurant ouverte au public où était présentée une maquette du projet. L’entrée par le porche offrait ainsi un point de perspective unique entre le « modello » et son extension visible, tandis qu’au centre des ouvertures extérieures, un dispositif coulissant présentait un double cibachrome sur caisson lumineux de dimension humaine (2500 mm x 1650 mm). Il représentait un immeuble année cinquante de treize étages au chiffre interdit : une tour emblématique / ithyphallique, symbole de la reconstruction hâtive mais qui figure et déplace au mieux le passé architectural de la Ville de Bourges et le terrain social de proximité.Contre-architecture érotique
« Le public ne tient compte que d’une chose, affirmait Donald Judd, il faut que l’art qu’il voit ressemble aux reproductions qu’il peut voir dans les livres d’art » . En reprenant l’outillage publicitaire, protaTTrioreau s’approprient le langage artistique le plus répandu et le plus lisible, un langage intermédiaire entre l’art contemporain et le public qui vient ici se caler de force avec le déplacement du caisson lumineux sur le trottoir. Un caisson qui apostrophe inopinément le passant au coin de la rue ainsi qu’un visage charmant, mais non innocent. Ce dispositif fait irruption sur l’extérieur, dévie la dynamique urbaine, le flux piétonniers et la circulation des véhicules motorisés. Il occasionne, par obstruction, un effet de signalisation efficace. Il réitère ses invitations. Véritable machine dynamique/ergonomique, et qui n’en demeure pas moins pure architecture expérimentale, espace de décloisonnement utopique, laboratoire architectural. C’est encore dans les gestuelles répétées et gainées de verre, dans l’aller-retour du visiteur, dans le va-et-vient du caisson lumineux qui se loge et se déloge de son corps de bâtiment, que le dispositif se décharge de son poids de gravité conceptuel et se charge d’une dynamique érotique réelle.
La réalité sert de modèle à la réalisation d’une contre-fictionLe modèle de la société se fait dans l’architecture, et la société n’est qu’une histoire en transformation. L’altération actuelle, par la globalisation, par la mondialisation, par la normalisation est si rapide et si violente, si engageante et si moralisante, autant pour les pays entraînants que pour les pays entraînés, qu’elle encourage par ces frictions irritantes des modèles de résistance et de contre-société. C’est dans « la mécanique effrénée des passions » chère à Fourier que se construisent naturellement les réflexions isolées qui se font en marge des cadres en question. Les problématiques soulevées par protaTTrioreau montrent qu’il s’agit moins de résoudre que de trouver à quoi ressemblent les solutions sur un terrain aussi mouvant, elles déterminent par des expériences mesurées la naissance balbutiante et jouissante d’une offensive artistique dans l’enceinte privée de l’architecture publique. C’est en combinant les déplacements et les agissements de l’individu moderne, dans les flux d’une cité, que se reconstruisent les passerelles tombées entre les îlots de création. Si l’utopie est une fiction sociale qui se veut le modèle de la réalité, c’est ici la réalité qui sert de modèle à la réalisation d’une contre-fiction.
Frédéric Bouglé, directeur du centre d’art, Le Creux de l’Enfer, Thiers, France
Parpaings, numéro 24, p. 20-21, 2001
protaTTrioreau
« … protaTTrioreau se concentrent sur l’analyse des structures du tissu urbain. Leurs interventions dans l’état des choses en architecture sont souvent très radicales et contraires aux idées établies sur le rôle et le sens du domaine de construction. Dans leur système des transformations, le dedans et le dehors ne représentent que deux notions relatives, ainsi que le rapport entre le tout et le détail, entre l’espace réel et l’espace imaginaire. Là où l’on construit, on démolit également ; la ville et les bâtiments sont des variables soumises à la logique du marché. Les édifices perdent leurs caractère prestigieux de création architecturale pour devenir juste une bonne occasion pour l’investissement du capital qui, au moment où il ne rapportera plus, se déplacera ailleurs en laissant ces maisons se dégrader. Seuls les documents et les maquettes résistent à ces manipulations du marché… ».
Dislocation
Préface
D'un bord à l'autre deux textes qui, pour tenter de parler, se doivent de se placer hors-champ. Une postface, d'abord, qui est « comme un supplément, un reste, s'ajoutant sans former une continuité, manquant à toute progression et à toute nécessité. » Et une préface, ici-même, venant se placer encore à la suite de l'après-coup de la postface et qui pourtant se doit d'inaugurer, de lancer ce par rapport à quoi elle est irrémédiablement différé : le travail de TTrioreau. Tout est donc passé. L'installation n'est plus visible et l'immeuble représenté sur le caisson lumineux, centre mobile de l'exposition de La Box à Bourges, cet immeuble alors voué à la destruction est aujourd'hui, selon toute vraisemblance, définitivement rasé.
Reste donc ce catalogue. Constituerait-il une négation ramassée (la destruction ayant déjà eu lieu) puis relevé en un nouvel objet, positif maintenant, dont la pensée pourrait suivre le cours figé et dont les différents auteurs ici présents ont déjà éclairé une perspective ? Ce serait là un hégélianisme sans réserve que la forme même du catalogue que nous avons entre les mains vient minorer. Car ce livre - objet ne documente pas tant ce qui a eu lieu qu'il continue, par d'autres moyens, l'élan originel de l'œuvre. De même que les topographies sont toujours brouillées chez TTrioreau (comme le remarque bien Alice Laguarda, « Les projets de TTrioreau se présentent comme des tentatives de dépassement des oppositions strictes attribuées à l'architecture : immobile - mobile, permanent -temporaire, dedans – dehors… »), l'iconographie du catalogue est perturbée : un parallélogramme irrégulier dont les bords, tombants, sont peut-être la préfiguration annoncée / retardée de la chute de l'immeuble concerné, des polices fuyantes et dispersées, … Tout se passe comme s'il y avait bien une dialectique à l'œuvre (destruction, négatif, relève), mais il s'agirait ici d'une dialectique qui ne se résoudrait pas dans la figure de l'identité.
Ce refus de la résolution identitaire fait écho à la pensée de Adorno qui écrit : « La dialectique comme procédé signifie d'accepter la contradiction inhérente à la chose et, contre cette contradiction, s'efforcer de penser en termes contradictoires. Contradiction dans la réalité, elle est la contradiction de cette dernière. […] Son mouvement n'est pas celui de l'identité dans la différence de chaque objet d'avec son concept ; elle est bien plutôt le soupçon face à l'identique. Sa logique est celle de la dislocation : dislocation de la figure apprêtée et objectivée des concepts que, tout d'abord, le sujet connaissant a immédiatement face à lui. »
Cette pensée de la contradiction, selon un mode lui-même contradictoire, Renaud Rémond, l'a bien repéré dans l'œuvre de TTrioreau : « L'installation tente d'articuler ainsi un évènement où plusieurs temporalités jouent contradictoirement à travers l'immobilité de l'architecture et de l'image photographique. » Mais, partant de là, Renaud Rémond opte pour une résolution ontologique de la contradiction : « L'image est creusée par une profondeur sans fond, un centre toujours ex-centré, qui décèle seul, loin des objets et du réel, ce qu'il est en est de l'être, un effondrement de l'ici, son désastre. » Or, quelles en seraient les conséquences si, sous l'impulsion de Adorno, nous quittions la logique de la destruction pour celle de la dislocation ?
L'enjeu, ici, serait de ne pas sortir des choses, de l'immédiatement réel, c'est-à-dire encore de l'installation même de TTrioreau, de cet immeuble de la périphérie de Bourges et de ce catalogue - objet pour prendre la juste mesure de leur négativité (de leur caractère non-identitaire), tout comme de leur logique interne disloquée. Comme le dit Adorno : « C'est la chose, et non pas la tendance de la pensée à l'organisation qui provoque la dialectique. » Cet enjeu se décline au moins en deux temps.
Premièrement, c'est la position du sujet - spectateur qu'il faut réévaluer. Puisque suivant la logique de la dislocation « Le sujet doit donner au non-identique réparation de la violence qu'il lui a faite », et que c'est par là-même « qu'il se libère de l'apparence de son être-pour-soi absolu », le spectateur de l'exposition se voit contraint d'opérer un déplacement de perspective. Comme le dit Christian Ruby : « Il lui est demandé d'apprendre à se reconnaître comme spectateur en le devenant, de mettre en jeu des agencements, par rapport aux autres spectateurs, agencements dans lesquels il doit se choisir comme spectateur ou non et comme tel spectateur ou non. »
Deuxièmement, il s'agit de recueillir le processus socio-historique de l'œuvre de TTrioreau. La pièce envisagée ici comme image dialectique au sens de Benjamin, se comprend alors comme une cristallisation qui permet à la dimension sociale de se représenter elle-même. C'est ce que souligne parfaitement Jérôme Duvigneau lorsqu'il écrit : « Saturated by signs and symbols, it is also the space where goods (merchandise, objects of production) coincide with their own performance and advertising. In this respect, the light box signals like a neon advertising sign, in an attempt to break up the coherence of the surrounding urban space. It is by decentralising one space into another, literally dislocating, that the light box produces a different reality, one that is inappropriate for normal urban use. » Adorno avait déjà souligné la force incomparable qu'avait Benjamin d'allier « une capacité spéculative avec une approche micrologique des contenus chosaux. » Peut-être est-ce là justement ce que nous donne à voir TTrioreau : une pensée conceptuelle qui ne craint pas d'affronter la scission inévitable du concept en rendant justice à l'immédiatement réel, aux contenus chosaux et en les préservant dans leur dislocation.
Il n'est évidemment pas question de subsumer le travail de TTrioreau à une philosophie préexistante, en l'occurrence celle de la Dialectique Négative. Néanmoins, le soupçon de l'identique, la notion de dislocation, l'orientation sur l'immédiatement réel sont autant d'éléments qui permettent d'entrevoir l'œuvre d'art sous un jour des plus fécond. Dans cette optique, les juxtapositions, les déplacements, les contradictions, voire les impossibilités qui traversent la pièce de TTrioreau ne se reconduisent pas à une unité illusoire mais s'organisent en une constellation. Partant de là, émerge la notion du possible, dans la pensée comme dans l'art.
Frédéric Bouglé conclut son article sur cette proposition : « Si l'utopie est une fiction sociale qui se veut le modèle de la réalité, c'est ici la réalité qui sert de modèle à la réalisation d'une contre-fiction. » Et en effet, c'est bien là un point central chez TTrioreau : l'ancrage de l'œuvre dans l'urbanisme et l'architecture fait directement signe à l'utopie. Or, comment penser le rapport du réel et de l'utopie ?
Adorno, encore une fois, nous aiguille sur cette voie : « La connaissance qui veut le contenu veut l'utopie. Celle-ci, la conscience de la possibilité, s'attache au concret en tant que non-défiguré. C'est le possible, jamais l'immédiatement réel qui fait obstacle à l'utopie; c'est pourquoi le possible, au sein de l'existant, apparaît comme abstrait. » Ce passage, d'une extrême difficulté, nous montre néanmoins, d'une part, les relations entre le contenu, l'utopie, le possible et le réel et, d'autre part, le concret et l'abstrait, tout comme il nous indique le chemin ardu de la pensée : ouvrir la possibilité même de la réflexion comme utopie, non pas en s'éloignant de l'existant, mais en restant au contraire fidèle à l'immédiatement réel, fut-ce au prix de la dislocation et de la négativité.
Reste maintenant au sujet - spectateur - lecteur à affronter cette négativité pour réaliser son propre projet de l'utopie.
Emmanuel Decouard
BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex
« Les expositions d’art auront à l’avenir pour mission de montrer la peinture et la sculpture dans le contexte de l’architecture, de redonner vie au sens initial des arts plastiques qui est d’avoir une fonction dans la construction ».
Contre-architecture utopique / contre-architecture érotique
L’architecture, dans son idéal, est une tentative d’expliquer la société par sa construction même, c’est l’ultime forme qui pousse tous les arts à s’affirmer aux yeux de tous. Elle place l’humanité au centre de son logis où s’abrite ses convictions et ses motivations premières. L’architecture représente la première des grandes utopies sociales car elle déplace le sujet sur le giron de sa famille, de sa communauté, davantage que sur un public. Toute maison est une topo-utopie, une île posée sur l’erg du monde, comme le furent en leurs temps la cité et le temple. Maison communautaire ou non, c’est la première des grandes utopies réussies ou ratées. C’est un refuge et c’est un centre, un lieu d’abandon, de réflexion, de mémoire, de retranchement actif qui va s’associer à l’enfance, à la famille, au groupe. Sa construction, son orientation, ses matériaux, son concept, valident l’histoire culturelle d’un peuple, d’un pays, d’une époque .
L’histoire jeune de TTrioreau commence quand deux tourangeaux passionnés d’architecture, Vincent Protat et Hervé Trioreau, se retrouvent dans un hangar voué à la destruction où ils élaborèrent ensemble leurs premières réflexions et expérimentations sur l’architecture urbaine et son rapport aux arts plastiques. De l’aventure architecturale à l’aventure du voyage, les voila déjà partis vérifier leurs concepts en examinant des appartements proliférants dans une grande métropole asiatique en mutation accélérée. Observant les gens qui y vivent, constatant l’organisation architecturale et spatiale des bidon-villes et la construction spontanée justifiée par la paupérisation, ainsi qu’ils l’ont entrepris à Hong Kong, ils en reviennent pour s’investir et l’appliquer dans le décalage de leur région. C’est à Tours dans une maison abandonnée près du Centre de Création Contemporaine qu’il monte un projet en apparence burlesque et qui permettait aux visiteurs de découper chirurgicalement le corps du bâtiment au scalpel visuel. L'intervalle, le passage, l’hybridation, le métissage, la prothèse architecturale, la géopolitique, l’interface sont autant de données qui fondent l’analyse entreprise dans leurs recherches. Une architecture modulaire qui procède par agrégats, raccordements, entassement, juxtapositions et qui trouvent ses applications artistiques dans une dimension humaine.
Contre-architecture mobile / contre-architecture labile
Pour les futuristes italiens et russes, que ce soit Marinetti, Lioubov Popova ou Alexandre Vesnine, l’architecture en aucun cas ne devait être statique ou rigide, mais se devait au contraire d’être constamment en mouvement comme l’eau de la mer, mouvements de la machine reprenant la gestuelle moderne, ou encore composée de matériaux vaporeux ou nuageux. L’immense structure transparente de Tatline pour le siège de la Troisième Internationale de 1919, dont la maquette fut promenée dans toutes les rues, était composée d’une spirale d’acier sur un axe asymétrique, des corps de verre à révolution interne, et munie d’un système de projection de textes dans le ciel par temps couvert, un projet qui marque encore des artistes contemporains ainsi que Michel Aubry l’a récemment démontré au Centre d’art contemporain de Vassivière en Limousin. En 1919 encore, l'expressionniste Bruno Tant sort un portfolio intitulé « Architecture Alpine » dans lequel il imagina un monumental ensemble de cathédrales de verre resplendissant au milieu de chaînes de montagne, tandis que l’architecte russe Georges Kroutikov dessina lui, en 1928, un bâtiment flottant dans l’espace. Aujourd’hui, et pour aller hâtivement, l’artiste polonais contemporain Krzysztof Wodiczko connu pour ses « projections publiques » dénonce pour sa part « la principale occupation du monument » qui voudrait rester immobile, être enraciné en permanence dans le sol et s’abstenir de tout mouvement visible, afin d’annexer par là même son idéologie sur le temps et le territoire. L’architecture valide ou dénonce donc aussi une forme de stratégie, une stratégie dans ce cas qui n’est pas nouvelle quand, pour reprendre la fameuse phrase de Mirabeau prononcée aux députés des communes : « il leur suffit de rester immobiles pour se rendre formidable à leurs ennemis ».
Un dispositif faisant irruption aux flux de circulation : l’obstruction comme invitation
La Box, à Bourges, est un lieu d’exposition juxtaposant l’Ecole nationale des beaux-arts de cette même ville. C’est un lieu de dimension modeste, séparé en deux salles inégales en surface : la première ayant une entrée sous un porche et la seconde percée de trois fenêtres vitrées donnant sur une rue extérieure. TTrioreau est intervenu du 25 janvier au 2 mars 2001, et a pris connaissance du lieu et de son environnement. Sachant l’analyser il a investi l’espace dans le but d’en faire une architecture en rupture, sculpturale et spatiale, dialogique, fixe et labile, ouverte et fermée, mouvante et agissante à la fois sur elle-même et sur le monde extérieur. A cet effet les vitres ont été déposées, les passages ainsi ouverts permettant alors aux passants de pénétrer l’architecture à condition de lever le pied, et de parcourir la salle dans sa largeur sur un parcours obligé, guidé par des cloisons vitrées. Les espaces de la galerie et de l’œuvre se font le piège d’un processus bifide et composé où les statuts basculent dans un rapport physique et visuel. Le piéton entre inclusion et exclusion, dans ce double mouvement, se fait par là même autant visiteur que sujet à voir, et qui troque sa position de sujet regardant de son aquarium et de sujet regardé par derrière la vitrine, la première salle demeurant ouverte au public où était présentée une maquette du projet. L’entrée offrait ainsi un point de perspective unique entre le « modello » et son extension visible, tandis qu’au centre des ouvertures extérieures un dispositif coulissant présentait une double photographie Duratrans® sur caisson lumineux de dimension humaine (2500 mm x 1650 mm). Il représentait un immeuble année cinquante de treize étages au chiffre interdit : une tour emblématique / ithyphallique, symbole de la reconstruction hâtive mais qui figure et déplace au mieux le passé architectural de la Ville de Bourges et le terrain social de proximité.Le public ne tient compte que d’une chose, affirmait Donald Judd, il faut que l’art qu’il voit ressemble aux reproductions qu’il peut voir dans les livres d’art . En reprenant l’outillage publicitaire, TTrioreau s’approprie le langage artistique le plus répandu et le plus lisible, un langage intermédiaire entre l’art contemporain et le public qui vient ici se caler de force avec le déplacement du caisson sur le trottoir. Un caisson qui apostrophe inopinément le passant au coin de la rue ainsi qu’un visage charmant, mais non innocent. Ce dispositif fait irruption sur l’extérieur, dévie la dynamique urbaine, le flux piétonniers et la circulation des véhicules motorisés. Il occasionne par obstruction un effet de signalisation efficace. Il réitère ses invitations. Véritable machine dynamique / ergonomique, et qui n’en demeure pas moins pure architecture expérimentale, espace de décloisonnement utopique, laboratoire architectural. C’est encore dans les gestuelles répétées et gainées de verre, dans l’aller-retour du visiteur, dans le va-et-vient du caisson lumineux qui se loge et se déloge de son corps de bâtiment, que le dispositif se décharge de son poids de gravité conceptuel et se charge d’une dynamique érotique réelle.
L’architecture comme « topocratie », l’architecture et le chaos, l’architecture l'emporte sur les conflits : une utopie-pixel sans torsion sociale
De la Saline d’Arc-et-Senans construite par Nicolas Ledoux au Familistère de Guise , dont l’existence fut sommaire mais suffisamment parlante, les utopies architecturales du début de l’ère industrielle, et de la première moitié du XXème siècle, affirment une pensée utilitaire tout en essayant de préserver l’individu de la misère économique et sexuelle. Enthousiasmants et libertaires parfois dans le contenu, mais trop souvent centralisés, planificateurs, autoritaires, ces abris utopiques aspirent à mieux gérer la société afin que l’ordre domine comme finalité première. Si on compare aujourd’hui les viatiques virtuelles du réseau Internet, c’est paradoxalement ces craintes qui vont aujourd’hui s’inverser. La pensée hédoniste impose son système économique là où le terrain est vierge, et c’est l’ordre social qui s’effraie du désordre ontologique et éthique que la nouvelle technologie génère. En d’autres termes, ce ne sont plus aujourd'hui les acteurs de la pensée qui anticipent les utopies, mais ce sont bien les courroies technologiques, les instruments de la communication même, qui, par des courts-circuits ouverts sur un flux sans frontières, par des espaces circulatoires, déambulatoires et codés, aspirent et concentrent toutes les volontés sur une « topocratie » sans but, et sans autre finalité, que sa propre poursuite effrénée. Hakim Bey, dans L’art du chaos, Stratégie du plaisir subversif, aspire a concilier le monde sauvage et le cyberespace en créant une « Zone Autonome Temporaire ». Il s’agirait de s’inventer une sorte d’île utopique virtuelle, un espace kaléidoscopique conceptuel, anti-autoritaire, libre et festif en tout, sans frein et sans barrière, et qui serait selon l’auteur: « le seul lieu (hormis l’imagination subjective) où l’on puisse expérimenter une véritable sensation de vie sans oppression ». Nous atteignons ici les flans d’un projet utopie-pixel sans torsion sociale, où le réel temporel se retire dans un autre visuel, quand l’individu corporel se satisferait des avantages d’un monde plat, tandis que son imaginaire palpiterait des effets vortex d’un autre plus circulaire. Une sorte de « Mont Analogue » à la René Daumal où l’architecture ne serait plus que la base numérique d’une idéologie mentale, une vision esthétique confidentielle / exponentielle, et aux dess(e)ins d’autant plus libres qu’ils échappent à toutes fonctions, et à toutes prises sur le réel.
Créer un conflit pour fédérer des aspiration nouvelles
« La structure sociale est influencée, sinon dirigée, par la structure matérielle qui l’héberge » écrivait l’architecte d’origine italienne Paolo Soleri. L’architecture, comme la sociologie, doit rendre, pour reprendre les propos de Raymond Aron, explicite ce qui est implicite, et faire apparaître au grand jour ce qui est caché . Pour Alain Touraine, la fonction du sociologue est de faire émerger des rapports, des crises et des conflits, il observe la réalité ainsi qu’une scène qui se joue sous ses yeux, et dont il doit écrire dans un même temps lui-même le scénario. Quand l’utopie est une « topocratie » en passe de refroidir, comme ses îles surgies brutalement des éruptions de volcans sous les mers, l’architecture, en tant que volition d’une modernité à se construire, stimule des visions d’avenir sur sa communauté. C’est le « lieu » qui, par essence même, vient soit dépasser les conflits variés dans une société donnée, soit créer elle-même un conflit mais pour fédérer des aspiration nouvelles.
Une psychogéographie du terrain
L’architecture, en tant que lieu défini, qui se construit et s’élève dans un espace conflictuel, dans cette jungle moderne, ordonnée et hiérarchisée, participe à dominer, selon ses moyens, l’existence d’une psychogéographie profonde du terrain. C’est pourtant en prenant sens dans son environnement entier, en le perturbant parfois, qu’elle va véritablement en saisir son enjeu.
Les expériences de TTrioreau qui nous concernent, poussent, comme exemples, ces réflexions dans le retournement que leurs opérations opèrent. Elles ne cherchent pas directement à faire le procès de l’architecture mais n’en demeurent pas moins critique à part entière. Le comportement humain, le public, en tant que vecteur territorial à l’implantation de l’architecture, demeure un des points essentiels de la question. L’artiste, dans sa démarche tout terrain, interpelle la conduite et l’attitude des regardeurs, proposant et provoquant des zones d’attente, d’arrêt, de questionnement, alors que l’architecture en tant que symbole, symbole de créativité d’une société, est non pas refoulée du propos mais mis pour un moment à l’index.
Le comportement humain exerce sur l’architecture des pressions. Il génère dans un espace donné, dans un environnement précis, une atmosphère singulière et parfois sortilège, une atmosphère de jour, et une atmosphère de nuit, comme celles que l’on retrouve dans Capdevielle. C’est l’aura humaine chargée de désirs variés qui se construit elle-même dans un monde réduit et surveillé. Pourtant, au sein d’une cité nocturne, l’architecture vient apaiser par sa présence les marques spatiales qui manquent à ceux qui observent le soleil s’enfoncer. Reprenant le flambeau idéaliste et situationniste de Constant Nieuwenbuys, qui affirmait, « une autre ville pour une autre vie » . Le projet réalisé par TTrioreau à Bourges reprenait l’idée d’un espace fractionnel, modifiable et modulable, et qui interroge parfois le visiteur passant, libérant notoirement des espaces réflexifs dans un spasme bâti pour d’autres fonctions. D’un lieu expositions artistiques, les artistes en font un laboratoire architectural imprévisible et communicationnel dans une temporalité transitoire mais bien réel. Pour Constant, ainsi qu’il était dit dans son Ode à l’Odéon, les espaces urbanistiques correspondent aux attentes de « l’homo ludens », et ce seront la concrétisation spatiale des désirs de l’individu qui viendront accréditer l’émergence d’une architecture. Ce sont, notait-il, « nos besoins qui nous poussent à la découverte de nos désirs ». L’attention émise par TTrioreau envers les visiteurs participe, comme celle de l’artiste français Saâdane Afif dans son intervention au centre d’art contemporain Le Creux de l’enfer à Thiers (exposition « Mise à flot », octobre 2001), non pas à créer du désir, mais à utiliser ce désir comme d’un levier pour revoir les besoins de sa position.La fonction vivante du bâtiment
TTrioreau reprend, à l’instar de Constant, les problématiques de l’architecture par d’autres sentiers. Un bâtiment finalement n’est qu’un corps vivant, avec une cause initiale qui l’a fait naître, et qui court immanquablement vers son ultime destin. C’est en anticipant virtuellement sa phase de destruction, comme les artistes l’ont entrepris précédemment à Tours, que va se vérifier, par béance fictionnelle, la fonction vivante et bien réelle d’un bâtiment. Chaque destruction d’immeuble ou d’habitation engage la libération d’un espace, laissant resurgir la lumière , un espace sauvage, un champ d’autonomie et de disponibilité à prendre.
Le « modus operendi » de l’architecte
L’ensemble des démarches artistiques entreprises par TTrioreau dans l’architecture participe d’une expérience sur le « modus operendi » de l’architecte. Elle pousse encore à s'interroger sur les raisons profondes qui l’incite à construire, et même à répondre ou non à des commanditaires. Une démarche qui implique de se remémorer l’histoire qui est la sienne, et de la faire avancer hors de ses nécessités premières. Il s’agit moins de classer par lignes de pensé, que d’échapper à un excès de règles cartésiennes, il s’agit moins de faire des découvertes, que de deviner les véritables motivations de l’architecte. Une des tâches des mathématiques consiste à prédire les phénomènes, une des tâches de l’architecte consiste à faire de même. C’est de cette fonction que dépend la part vitale de la construction sur son environnement, pour faire d’un procédé une chose visible, et des contraintes présentes une méthode invisible. Si toute architecture est inerte, une structure de donnée, c’est pourtant par ces moyens qu’elle atteint son mouvement dans un temps d’existence sans durée. A l’ère de la communication à tous crins, l’architecture tant à devenir l’armure d’un symbole politique sur-recherché et tout-puissant. Dans le roman d’Italo Calvino, Le chevalier inexistant, l’armure blanche d’Agilulfe Bertrandinet des Guildivernes, ne protège personne.
La réalité : modèle à la réalisation d’une contre fiction
Le modèle de la société se fait dans l’architecture, et la société n’est qu’une histoire en transformation. L’altération actuelle, par la globalisation, par la mondialisation, par la normalisation est si rapide et si violente, si engageante et si moralisante, autant pour les pays entraînants que pour les pays entraînés, qu’elle encourage par ces frictions irritantes des modèles de résistance et de contre société. C’est dans « la mécanique effrénée des passions » chère à Fourier que se construisent naturellement les réflexions isolées qui se font en marge des cadres en question. Les problématiques soulevées par TTrioreau montrent qu’il s’agit moins de résoudre que de trouver à quoi ressemblent les solutions sur un terrain aussi mouvant, elles déterminent par des expériences mesurées la naissance balbutiante et jouissante d’une offensive artistique dans l’enceinte privée de l’architecture publique. C’est en combinant les déplacements et les agissements de l’individu moderne dans les flux d’une cité que se reconstruisent les passerelles tombées entre les îlots de création. Si l’utopie est une fiction sociale qui se veut le modèle de la réalité, c’est ici la réalité qui sert de modèle à la réalisation d’une contre-fiction.
Frédéric Bouglé
Architectures - transferts
Les discours sur la fin de la ville, l’apologie d’un chaos spatial qu’on dit « spontané », d’une civilisation du « fun » et de la flexibilité questionnent la condition habitante contemporaine. L’espace de la ville n’est plus un réseau statique mais un palimpseste d’objets autonomes qui entretiennent avec le territoire des relations temporaires, dont les usages et les fonctions fluctuent. C’est presque l’espace d’une équivocité pure.
Le travail de TTrioreau vient se loger dans ce contexte, et cherche à proposer l’image d’une architecture qui rompt avec l’idée de permanence, remet en cause l’idée même d’architecture comme simple construction ou forme.
Les projets de TTrioreau se présentent comme des tentatives de dépassement des oppositions strictes attribuées à l’architecture : immobile-mobile, permanent-temporaire, dedans-dehors… Le statut de l’architecture est réexaminé par rapport à celui du monument, dont l’expression contemporaine est notamment celle du logement sacralisé, signe de la victoire de la sphère privée sur la sphère publique. A ce statut fixe, TTrioreau veut substituer un statut mobile : celui de la dimension futile et périssable des constructions humaines qui les ont amenés à intervenir dans des mégapoles (Hong Kong), des espaces délaissés (une maison abandonnée à Tours), ou encore dans l’étonnant bâtiment de l’école d’architecture de Nantes. Ce statut mobile implique également que l’architecture ne peut se réduire à une construction, à une forme figées, pour à tout moment devenir une image, une projection. Chaque espace objet d’intervention est ainsi éprouvé dans sa capacité à se transformer, pris dans des séquences, des récits qui mêlent films vidéo, photographie, maquettes ou élaboration de prototypes.
Ainsi de l’intervention de protaTTrioreau, 35, rue Marcel Tribut, 37000 Tours : pour la première phase, une caméra vidéo, posée sur un vérin hydraulique télescopique, « traverse le plafond d’une maison pour détruire à l’étage supérieur la maquette de cette même maison. Le film vidéo de la destruction est simultanément retransmis à l’extérieur, au-dessus du seuil ». Puis l’installation se transpose dans le cadre d’une galerie, où les archives de cette destruction sont exposées : « le moniteur diffusant le film vidéo est couché sur une photocopieuse couleur qui en reproduit les images. La stratification des copies (feuilles de papier transparentes) reproduit ainsi l’image inversée du bâtiment détruit et forme elle-même, par entassement, une architecture-palimpseste ». On transpose, on inverse, on altère, on superpose les informations, les supports. On monte, on colle, on mixe, comme s’il s’agissait de reconquérir du pouvoir sur son environnement, de se l’approprier en le détruisant, de l’altérer pour le reconstruire ailleurs, autrement.
D’où l’intérêt de l’artiste pour les constructions anarchiques, l’architecture des non-architectes dans les villes, comme jeux sur leurs limites physiques : pour le projet à Hong Kong, il s’agit d’étudier des terrasses « pirates », extensions de l’architecture existante construites par les habitants pour augmenter leurs surfaces d’habitation. Ce principe de greffe, d’excroissance, d’architecture - parasite, décliné notamment par le groupe Archigram dans les années soixante, est largement repris aujourd’hui par une nouvelle génération d’architectes dans des projets d’habitats « nomades », de cabanes ou de maisons mobiles (Philippe Grégoire et Claire Pétetin, Didier Fuiza Faustino, Archi Media, …). On retrouve chez TTrioreau la fascination pour la mobilité urbaine, l’idée d’architecture - dispositif, le principe de flexibilité des éléments assemblés, où l’architecture cherche à communiquer, en temps réel, avec les faits et les usages de son époque.
Cet intérêt rejoint la question de l’envahissement de la sphère publique par la sphère privée, posée par Hannah Arendt et Jürgen Habermas. A l’origine, la sphère privée concerne l’entretien de la vie (subsister, manger, se reproduire). Espace du foyer, elle est le siège de la plus rigoureuse inégalité, le lieu de la subjectivité radicale. Elle a fonction d’abri sûr, de protection. Pour les Grecs, un abîme sépare le public du privé : le public est le domaine de la parole et de l’action. L’homme y réalise son humanité parce qu’il le fait devant les autres et que ce qu’il fait est dégagé des soucis du privé, de la vie biologique. Dans privé, il y a privation : être privé de la réalité qui provient de ce que l’on est vu et entendu par autrui. Seul le domaine des affaires publiques instaure un réel rapport au monde et aux autres. Aujourd’hui, l’économie – le « Shopping », dirait Rem Koolhaas - a tout envahi et amenuise cette distinction entre sphères privée et publique. Elle s’accompagne d’une tendance au conformisme : « de chacun de ses membres, la société exige un certain comportement, imposant d’innombrables règles qui, toutes, tendent à normaliser ses membres, à les faire marcher droit » . Chez TTrioreau, la disparition de cette distinction se traduit par la critique d’un espace urbain devenu paysage de la consommation, envahi d’infrastructures géantes qui relient les centres commerciaux aux quartiers résidentiels, d’enseignes publicitaires qui s’ordonnent en autant de séquences spatiales répétitives. Il s’agit d’investir le paysage ou l’environnement habités (ce qui est commun, ce qui relie les hommes) et de déconstruire l’espace privé, sacralisé, de la maison ou de la demeure.
La critique est visible dans l’intervention BP 297 – 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex : deux photographies fixées sur la structure d’un caisson lumineux visible à l’extérieur de la galerie, investissant la rue, représentent le plus ancien immeuble de logements sociaux construit à Bourges, faisant la jonction entre espace résidentiel et zones industrielles, également siège de l’agence d’office public d’H.L.M. de la ville. Le déplacement des signes, l’immersion de cette image dans l’espace public, hors du champ de la galerie d’exposition, est une manière de mettre en cause la fonction de l’architecture : habitat, observation et surveillance, standardisation ? Même questionnement pour l’espace de la maison : « il s’agit que la maison – et avec elle ses symboles : institutions, pouvoir, économie – soit défaite, que son habitabilité soit incertaine, comme en suspens » . On rejoint là le travail de l’artiste Bernard Calet, dans son rapport à l’architecture et sa manière de s’installer dans des lieux d’exposition, avec la mise en place d’une « esthétique des transferts » : « pas ici de point focal, pas ici de séduction, la proposition continuellement repositionne l’attention, la fait glisser d’un univers à un autre, d’un système de références à son contraire, sans répit. Invitation à penser dans une langue plastique qui n’est assurément pas encore notre bien, ourlée non de syntagmes construits et ordonnés mais d’énoncés en constante reconfiguration » .
Pour résister à l’envahissement du social, pour éviter la disparition totale de l’espace public, ce principe de « transfert » s’affirme comme une nécessité : il faut trafiquer les symboles, les « bricoler », les détruire, aussi. Il faut créer des passages, des transpositions d’un espace à l’autre : des intervalles, des débordements qui répondent aux fonctions urbaines d’information (espace de la rue, événementiel) et de « jeu » (rencontre, hasard, mouvement). Les titres des œuvres eux-mêmes trahissent un effet palimpseste : chaque adresse postale subit un traitement complexe, dans la mesure où elle devient elle-même le lieu d’une superposition sémantique : « elle désigne tout à la fois un site urbain strictement localisé et une installation plastique provisoire venue en brouiller l’identité » . L’utilisation de prototypes, de maquettes, dont la destruction ou l’altération vont par exemple être filmées en vidéo, puis montées, rend compte de ces transferts. Le dispositif peut être démontable et donc réactualisable dans un autre espace. On passe d’un mode d’appréhension à l’autre : de la galerie à l’espace de la rue, d’un mouvement horizontal à un mouvement vertical, de l’original à la copie, etc.
La condition de l’architecture est double : permanente et temporaire . La permanence en semble sans cesse altérée, ce qui lui confère un statut erratique. Mais alors, rien n’empêche cette condition de nous faire évoluer vers un relativisme absolu, légitimé par la fascination pour le palimpseste. C’est le travail de manipulation plastique mais aussi idéologique qui permet de dépasser l’attitude esthétique et d’élaborer une œuvre qui ne travaille pas uniquement sur la forme, mais surtout sur les usages.
Alice Laguarda
Le chemineur de chemins qui mènent quelque part
Des dispositions esthétiques s’inscrivent progressivement dans les corps des spectateurs, et renforcent une éducation reçue qui aime peu à se remettre en question. La force de ces acquis, de ces incorporations, est partout visible, qui pousse un certain type d’ivresse ou d’émotion à gagner les spectateurs devant les œuvres. Mais songe-t-on, vraiment, à leur barrer la route ? Du moins à les interroger ? C’est pourtant bien ce en quoi l’art contemporain contribue à définir une série de propositions nouvelles, directement liées à ces dispositions sensibles, à la scansion du temps, à l’ordre spatial et à l’interaction moins avec l’œuvre qu’entre les spectateurs. Nous savons, d’ailleurs, que nos corps n’y répondent pas toujours sans réticence. Au droit de l’œuvre artistique, chacun voit, en soi-même, en quel sens il a été dompté esthétiquement, mais aussi combien l’œuvre nouvelle est plus puissante encore puisqu’elle vient perturber ses aises et ouvrir à des aventures qui ne sont pas toujours virtuelles.
Les propositions artistiques d’art contemporain exigent, en effet, une mutation du spectateur, et surtout une mutation critique, telle qu’elle vise, si possible, à faire renoncer le spectateur d’art au spectacle de l’art, en particulier là où le spectacle est passé maître. Certes, toute œuvre d’art, en général, propose des règles à chacun, parce que les actes artistiques n’ont guère de raisons de constituer ni des massages émotifs ni des bains de santé. Mais, les propositions contemporaines, spécifiquement, ne cultivent plus l’immobilité du voyeur ou les pesanteurs enchaînées. Elles négligent même les ornements, qui ont toujours eu l’avantage de ramener en un centre les pensées errantes des spectateurs. Elles ne se contentent pas non plus d’un clin d’œil adressé au spectateur. Elles l’appellent à autre chose, à une autre existence.
Au surplus, les œuvres classiques ou modernes nous ont laissé des objets qui, inscrits désormais dans des jeux d’identification de la société avec elle-même, ont servi à dresser une quantité de spectateurs à ne savoir voir (ou entendre) autre chose que ce dont on prétend qu’elles nous en représentent les traits. Et surtout, à déployer, dans l’immédiateté du voir, un sens du commun qui avoisine un sens commun. Elles sont invitées à participer à un jeu social ancré d’office dans la question : « qui sommes-nous ? ». Question à laquelle on sait par avance ce qu’il convient de répondre. S’agissant d’architecture, puisqu’il va en être à nouveau question plus loin, le service qu’elles avaient à rendre consistait à s’attacher à élever les générations à des confrontations, mais de face à face, face par face, avec le bâti, en faisant sentir assez durement que les éléments, sans doute les plus importants, sont les plus inaccessibles. On croyait donc pouvoir s’en servir – ce fut le sort des architectures-monuments - pour asseoir des symboles qui référaient à des vertus et des valeurs nobles. Le spectateur était voué, devant elles, au spectacle et au spectaculaire.
Toute une scénographie - revenons-y - concerne ainsi l’architecture, agencée en général à l’art public. Cette scénographie - et Raymond Hains, lui aussi, en a remis les traits en perspective - présente un double aspect. Elle donne, d’abord, à l’architecture un statut autonome dans la pensée (opération historique). Elle donne, ensuite, un statut esthétique au spectateur (opération pédagogique).
Dans le premier cas, qui n’est pas inédit dans son projet mais dans la perspective défendue, l’architecture est pensée comme enveloppe (des dieux ou des pouvoirs), abri de la famille (et d’une vie en vase clos, comme en dessine une, par exemple, Friedrich Von Schiller), mettant ainsi la famille à l’abri des écarts et des tentations. Conception étroite, au demeurant, et dans laquelle l’architecture a toujours l’air de fonctionner sans la ville ou la ville de n’être qu’une somme d’œuvres en provenance de l’architecture.
Dans le second cas, l’architecture est donnée pour favoriser l’apprentissage du point de vue à prendre en esthétique, la formation du type d’expérience visuelle, dans laquelle se forge, simultanément, le spectateur classique généraliste : posant sur les bâtiments (comme sur toutes autres choses) un regard panoramique et esthétique . Le dispositif ainsi mis en place trouve ses conditions dans une philosophie du sujet monologique, être sensible, qui a eu son importance historique. Encore - si on ne veut pas en faire le fondement d’un dispositif prétendument naturel - ne doit-on pas négliger, lorsqu’on parle de cette philosophie du sujet, les obstacles qu’elle a rencontrés durant son propre établissement. Obstacles parfois difficiles à surmonter, dont les rendus littéraires témoignent, notamment à l’égard d’un spectateur qui n’est pas encore formé. Consultons Baudelaire sur ce plan, qui sait relever avec pertinence les résultats de cette formation, par excès parfois, par défaut souvent, au regard de la complexité des gestes que chacun doit apprendre pour s’y soumettre, et qui peuvent prêter à un humour froid : « Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : « immoral, immoralité, moralité dans l’art » et autres bêtises, me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant à chaque instant par la manche, me demandait, devant les statues et les tableaux immortels, comment on pouvait établir publiquement de pareilles indécences ».
Mais, désormais, dans l’œuvre contemporaine, il s’agit de bien autre chose. Et c’est cette autre chose qu’il convient d’appréhender au plus près, pour sa manière, premièrement, de reposer le problème du temps, de l’espace, de l’espace-temps et de la sensibilité, mais, deuxièmement, d’en inventer un nouveau, le problème des interférences entre spectateurs. Notre position de spectateur n’a pas changé de degré d’implication. Elle a changé de nature. Au point de modifier, presque entièrement, notre rapport à notre propre corps et au corps social en son entier. Cette position - qui, à certains égards, n’en est plus une -, ne consiste évidemment plus ni à recevoir les œuvres ni à les saisir et à nous y faire en nous laissant faire en et par elles. Elle contribue à nous obliger à nous saisir, par elles, en relance vers les autres.
Considérons ces nouvelles opérations
La première tient aux formes des œuvres elles-mêmes, ici, par exemple, chez Hervé Trioreau , des installations, des vidéos, des exercices virtuels, dont nous écrivons ici quelques mots sans conséquences, parce que nous préférons insister sur le sort qui y est fait au spectateur. Posons juste un profil d’œuvres, par conséquent ; chacun les retrouvera dans les catalogues ou sur Internet. Ce que tissent les œuvres contemporaines, et ces œuvres contemporaines, souvent sans le donner à voir, ce sont des « faires », agencés, mis en dialogue de l’intérieur, expérimentant leurs interactions. Ainsi, chaque pratique artistique pousse-t-elle en soi, au maximum, des potentiels qui la lient à d’autres pratiques, y faisant irruption. Non plus le clos et l’ouvert, mais le clos passant à l’ouvert. Non plus l’espace produisant du temps, ou l’inverse, mais l’espace-temps de l’œuvre. Non plus l’image ou le film, mais une séquence d’expériences imageantes. Non plus l’architecture et l’art urbain, mais l’habiter autrement. On peut décliner ces usages nouveaux abondamment. Ils obligent surtout à imaginer désormais des jonctions autrement délicates avec le spectateur. D’autant que, et nous revenons à notre perspective, le spectateur est appelé à devenir « spectateur - lecteur - auditeur », à devenir autre chose que spectateur d’un seul sens, qu’une sensibilité monopolisée par un seul sens, juste avant de passer à l’interférence.
Au premier chef, le spectateur doit retrouver sa plasticité, par rapport à sa formation esthétique. Tant mieux. Retrouver une capacité à ne pas tomber sous des lois uniques et immuables, à ne pas s’enfermer dans un rapport voyant - vu, regardant-regardé, presque idolâtre, à l’œuvre (dont le paradigme est bien décrit, pour ses conséquences, dans la Gradiva de Jensen), ce qui ne signifie pas qu’aucune règle n’intervienne. L’art contemporain le met plutôt en situation d’incomplétude essentielle du point de vue de ses sens et de sa perception, le déplaçant simultanément vers l’autre spectateur. Non seulement les anciennes règles ne sont plus les bonnes pour les nouvelles œuvres, mais il faut découvrir ou élaborer les nouvelles règles, trouver à se refaire en elles et comment le faire. Les identités n’y sont pas incertaines, elles retrouvent le mouvement.
La seconde opération tient donc au spectateur lui-même. Regardez le spectateur contemporain de l’œuvre contemporaine, il ne se dispose ni ne participe. La « pulsion de voir » l’œuvre est muée en « pulsion d’échange » ou d’audition à l’égard des autres. Le spectateur est essayé et se fait essai, de lui-même et des autres, dans l’œuvre d’un autre. Il est essayé dans son devenir spectateur, dont il doit quitter les habitudes, et il se fait essai d’un rapport aux autres, dont il n’a pas l’habitude. Il doit, par conséquent, tout à une formation en cours, dans laquelle il n’a ni à jouer à l’île déserte ni à s’inclure singulièrement dans l’œuvre pour la faire fonctionner pour lui-même. Il a à faire l’essai de quelque chose de nouveau qui le met directement (et met directement son corps) à l’épreuve des autres spectateurs. Il lui est demandé d’apprendre à se reconnaître comme spectateur en le devenant, de mettre en jeu des agencements par rapport aux autres spectateurs, agencements dans lesquels il doit se choisir comme spectateur ou non et comme « tel » spectateur ou non.
Avec beaucoup de force, l’œuvre lui propose d’affronter ce qu’il n’a jamais été, ou rarement, un spectateur qui se sait tel, et ne se sait tel que s’il entre dans un jeu d’incertitude avec les autres. Un spectateur qui interroge la collectivité esthétique. Il est pris dans un traitement et un entraînement qui, en lui interdisant de savoir tout de suite de quoi il s’agit, lui ouvre la voie d’une production de soi dans la production d’un sens qui se dégage de l’interaction avec les autres spectateurs. Toutes ses sensations, tous ses sentiments, toutes ses réticences conceptuelles l’engagent dans ce qui n’est pas encore, mais naît dans le mouvement de se livrer à l’œuvre.
Par ces deux opérations, l’art contemporain redistribue les conduites spectatrices et les vigueurs de la collectivité esthétique. Il propose de refaire de la circulation entre les spectateurs. La question n’est plus de ferveur. Comment l’est-elle devenue d’ailleurs ? En tout cas, la ferveur n’est plus du ressort de l’art en tant que tel. Ce n’est plus non plus un problème de présence intérieure dans l’intimité d’une sensation, avec ses résultats. Mais l’échelle est devenue celle de l’objectivité d’une interaction, qui abolit l’unilatéralité d’une relation entre spectateur et œuvre, afin de produire une multiplicité de rapports. On est loin de la contemplation abstraite qui implique une contiguïté des spectateurs ou l’énoncé d’une communauté transcendantale (entraînant tant de discours sur la « perte » de cette communauté ou son « impossibilité radicale »).
Sans doute, n’est-ce point sous les espèces de la figure ou de la réflexivité que l’art nous appelle désormais. À peine le rencontrons-nous qu’il menace le préjugé de notre unité de spectateur. Il exige autre chose. Il est impitoyable dans sa manière d’abreuver les polémiques. Mais enfin, le temps est aussi venu de penser la logique de ses opérations. Il nous en fait moins captif, qu’il ne se montre en faisant sauter la ligne de partage séparant les spectateurs, en leur permettant de se prémunir de tomber sous le coup du face à face. Il se peut alors que nous « passions », de vivants illusoires que nous sommes souvent, à quelque chose qui, enfin, a lieu. Non parce que le spectateur prend activement part à l’événement qui, sans lui, n’aurait pas lieu d’être, car cela est finalement vrai de toute œuvre. Non parce que l’œuvre fabrique de la transitivité avec elle-même ou un référent. Mais, parce que l’art contemporain produit de la transitivité entre spectateurs.
Peut-on longtemps demeurer indifférent à ce déplacement de l’accentuation du travail artistique vers les spectateurs ? Peut-on ignorer longtemps ses implications quant à la communauté esthétique et à la question de la signification des œuvres. Établir des connexions, des entre-deux, des conflits de commentaires, c’est imposer à la signification de naître de ces interactions. L’objet même de l’art – qui n’hésite pas à revisiter le corps au moment même où nous nous demandons « que faire de nos corps ? » - est devenu une interrogation : que faisons-nous ensemble ? Nous ? C’est-à-dire l’œuvre et le spectateur bien sûr, mais surtout les spectateurs entre eux. Si vraiment nous vivons une époque dans laquelle « tout vaut », alors l’œuvre d’art a raison de demander « valoir quoi ? » et « pour qui ? »
Christian Ruby
Pour une réflexion sur l’urbanisme : produire la ville comme œuvre d’art
« Quel est le rôle de l’architecte ? Quel est le rôle de l’urbaniste ? Ce sont des producteurs d’espaces. Je ne parle pas de « production architecturale. » Je veux dire qu’ils ne sont pas seulement des fournisseurs sur le marché et pour le marché de la construction. Bien entendu ils ne sont pas les seuls à produire de l’espace, il y a toute sorte d’agents de cette production, depuis les planificateurs, les banquiers, les promoteurs jusqu’aux autorités politiques et administratives, jusqu’aux travailleurs du bâtiment et aux usagers. Architectes et urbanistes opèrent dans le cadre du mode de production existant, mais ils y ont un rôle essentiel, sur eux repose l’avenir du principe d’après lequel l’espace à une valeur d’usage et non seulement une valeur d’échange. »
Henri Lefebvre, « La bourgeoisie et l’espace », Espace et politique, p.269.
BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex
L’espace n’est pas un milieu géographique passif ou un milieu géométrique vide. Géographes et mathématiciens travaillent avec des constructions abstraites à des degrés divers. L’espace est instrumental, c’est-à-dire qu’il est espace vécu en même temps qu’il est espace où se déploient et s’affrontent des stratégies. Et c’est à ce titre qu’il se laisse produire selon un certain code, toujours partiel, car il n’existe pas, ou peut-être il n’existe plus, de code général, métalinguistique, rendant une société transparente à elle-même, code partiel donc et ici tout simplement code postal (mais il en est d’autres bien sûr). Simultanément, l’adresse, déjà lieu même de l’exposition, est le titre ou le nom propre de l’installation et cela sans pour autant cesser de fonctionner comme code partiel (postal). La polysémie devient une stratégie de résistance qui tente de mettre à jour la logique concrète des lieux occupés. Plus encore, le décrochage du signifiant par rapport au signifié enraye le code en le débordant.
C’est ce décalage pratiqué par TTrioreau qui produit l’espace nécessaire du questionnement en pointant la plurivocité. Découpage et fragmentation d’un territoire en réseau systématisé de symboles, l’adresse postale représente une information et transmet cette information. Mais aussi dans l’arbitraire de sa désignation, dans sa volonté de dominer l’espace en le rendant lisible, de l’instrumentaliser par une planification aussi effective qu’autoritaire, elle émane d’une stratégie à questionner. Cette homogénéisation des fragments dispersés comme politique de l’aménagement du territoire tend à dissoudre l’autonomie et la qualité des lieux. Cette stratégie d’occupation des sols vise elle-même à se dissimuler en dépassant les oppositions classiques : ville/campagne, dedans/dehors, centre/périphérie, pour ne citer que les plus marquantes, se donnant pour cela l’apparence du mouvement dialectique (ne cherchant de fait qu’à substituer ces oppositions sans les conserver ni les réfléchir) qui produirait les dimensions d’itinéraires, de réseaux de relations d’unités d’habitation et de liaisons (et qui de fait les produit mais comme stratégie de domination de l’espace). Procéder à une critique de l’espace en dégageant les stratégies qui le produisent nécessite l’analyse critique de cette activité productrice. La fausse dialectique du pouvoir ne doit pas occulter la véritable idéologie qui préside à son exercice, pas plus que la substitution « purement » architecturale de l’habitat à l’habiter ne doit nous faire oublier les oppositions contenues dans le mouvement toujours plus « sauvage », au sens où le capitalisme peut être sauvage, de l’éclatement de la ville comme forme. La question pourrait se poser, dévastatrice dans sa naïveté et pourtant souvent tenue à distance, elle pourrait être la suivante : tout espace est-il signifiant, et si oui, de quoi ? La critique urbanistique ne devra donc pas faire l’économie d’une sémiologie de l’espace et des discours sur l’espace. Cette étude des signes, partie d’une sémiotique générale, se confronte aux multiples codes de l’espace social. Les réseaux dominent et sont tous en mesure de produire leurs propres codes, submergés par la communication, par les signaux et les signes, c’est-à-dire intégrés dans quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas, comment l’individu ne serait-il pas déconcerté ?
Le caisson lumineux, sur lequel sont fixées les deux photographies Duratrans®, coulisse du (BP 297 -) 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex vers la rue et inversement. La centralité se déplace, mais en quoi consiste ce mouvement ? Soit que le centre s’entende comme un foyer, le mouvement se comprenant alors comme l’explosion des énergies accumulées (forces en lutte pour l’occupation de l’espace) comme souhait ou désir de leur dépense. Soit que la centralité, se voulant totale (centralisation) expulse avec violence, au nom d’une rationalité supérieure, politique, étatique, des éléments périphériques : chaque époque engendrant sa centralité, religieuse, politique, culturelle, commerciale, industrielle, … En décentrant l’installation, en s’incorporant l’espace public urbain comme nouveau centre possible, TTrioreau nous invite à la déroute.
L’extension de la ville produisit la banlieue mais dans le mouvement d’une expansion irrépressible, la banlieue avec tous ses réseaux a fini par engloutir le noyau urbain. D’autres centres virent le jours, les centres commerciaux, constitués en réseaux avec toute la cohorte de dispositifs dont ils s’entourent, ouvrant l’ère d’une nouvelle conception et pratique de l’espace. Ces centres commerciaux éclatent la morphologie traditionnelle de la ville (semblant ne même plus appartenir à la logique qui présida à la formation de la ville historique), mais à la fois masquent ce qui perdure d’une stratégie antécédente du centre, le raffermissement d’une centralité particulière, celle du pouvoir dans ses décisions.
En expulsant le caisson de l’intérieur vers l’extérieur, l’installation entière se décentre, c’est la périphérie qui interpénètre et interprète le centre (historique, de la vieille ville). Le centre (de l’installation) éclate en bouleversant la vie urbaine. La dislocation de la centralité est un danger, et de fait, on se heurte physiquement au caisson, mais la recomposition de centres selon des logiques aliénantes en est un plus grand encore.
La rue est caractéristique de notre rapport à la ville moderne, comme lieu de passage ou de rencontre, elle est une médiation qui a pris une plus grande importance que ce qu’elle relie. La rue est donc ce lieu de passage, d’interférences, ce lieu de circulation et de communication comme une sorte de microcosme de la vie moderne, elle rend public mais en déformant, en insérant dans le texte social ce qui se passe ailleurs, dans le secret (dans la configuration des itinéraires bourgeois, dans le décors aliénant du monde pavillonnaire, dans la misère de l’habitat soumis à l’organisation autoritaire des grands ensembles). La rue représente la quotidienneté de notre vie sociale.
Saturée de signes et de symboles, elle est également l’espace où les biens (marchandises, objets de la production) coïncident avec leur spectacle et leur publicité. A ce titre, le caisson lumineux fait signe, il fonctionne comme une enseigne publicitaire mais qui viendrait émietter la cohérence de cet espace urbain. Décentralisation d’un espace dans un autre, déroutant au sens propre du terme, le caisson lumineux produit une autre réalité, celle-ci inadaptée au flux de circulation de la rue. C’est cette inadaptation qui brouille les codes, qui trahit les comportements automatiques d’une utilisation aveugle de l’espace et de la consommation inconsciente des signes de la marchandise. L’habitat collectif dont le caisson se propose de nous faire la publicité est un bâtiment promis à la destruction. La logique architecturale de ce bâtiment indique également la destruction comme volonté à l’œuvre. Maintenir éclatées les couches de la population qui l’habitent (prolétariat et sous-prolétariat), c’est-à-dire en détruire les conditions profondes de rassemblement en produisant des individus isolés ensembles. L’irruption de la destruction au cœur de l’identification publicitaire nous indique ici la violence de la stratégie qui est à l’œuvre. La publicité ne fait pas autre chose que nous intimer l’ordre de consommer, présentant chacun comme un consommateur idéal consommant à profusion des objets de libre choix. Sans ce discours publicitaire ces objets ne seraient que ce qu’ils sont : des « choses » et non des « biens. » Mais ceci nécessite l’impérieuse obsolescence des marchandises afin de renouveler cette injonction : soyez heureux en consommant ! Un objet pousse l’autre, avec au cœur de ce système la destruction essentielle des objets de consommation. La violence de cet espace de la communication n’est pas symbolique, elle engage de fait l’espace social tel qu’il est vécu. La consommation et l’architecture répondent aux stratégies capitalistes les plus agressives où centres commerciaux et grands ensembles participent d’une même logique.
Jérôme Duvigneau
DétruirePostface
Retard _ Cinq points, donc, pour une postface. Cinq points inégaux, mal équarris, dont il n’est pas certain qu’ils parlent d’une même voix, ni qu’ils partent d’un même point. Certains, plus lents, retardent sur les autres. Une postface, placée sous le signe du retard, est un texte déplacé ou inopportun, « tombant mal » ou au mauvais moment. Sa place toujours déplacée : derrière les autres, sans pour autant se résoudre à conclure ou à offrir une forme récapitulative et rassemblée. Ne sachant comment (en) finir, la postface dit l’atermoiement, différant le dernier mot. Loin du centre, le texte postface demeure excentrique à lui-même, à sa propre position : il ne referme rien et n’offre de parole qu’avant-dernière, pénultième, ni finale ni inaugurale, « entre ». Maurice Blanchot, lecteur de Samuel Beckett et de Franz Kafka, dit cette impossibilité de se taire dans l’impossibilité de parler. La postface, comme parole d’après-coup, laissant la parole à son état inachevé, s’agence donc différemment : comme un supplément, un reste, s’ajoutant sans former une continuité, manquant à toute progression et à toute nécessité. Et de fait, cette postface débutait mal, à contre-temps : l’écriture du texte a manqué de ponctualité et s’est précipitée dans l’urgence. Mais placé sous le signe involontaire du retard, le texte devait finalement rencontrer son objet : l’installation BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex, de TTrioreau, dont la temporalité relevait elle-même des paradoxes du retard. Cinq points dispersés, autour d’une installation.
Promesse _ Dans un très beau texte en lambeaux , Luigi Magri analysait l’ambivalence des titres des installations de TTrioreau. Chaque installation prend pour nom l’adresse postale du lieu investi, institutionnel ou non. Le carton d’invitation, annonçant l’exposition, renvoie à une dénomination équivoque : à la fois titre et adresse. Luigi Magri reconnaît que ce dispositif onomastique rend, pour le spectateur, toute rencontre avec le travail de TTrioreau impossible, et que cette impossibilité devient l’objet même de l’exposition. Par son titre même, BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex installe les conditions d’impossibilité de l’exposition. L’adresse, indiquée sur le carton et précédent l’exposition, « a un effet de programmation, de prescription ». Mais simultanément, l’adresse est le titre même de l’installation, indiquant que toute l’exposition tient là, dispersée dans sa propre imminence. On n’ira donc pas plus loin, d’une certaine manière. Luigi Magri écrit ainsi que les installations de TTrioreau sont toutes entières leur propre promesse : « la promesse ne sera jamais accomplie (…) : l’infinie répétition de la promesse reste sa continuité à promettre ». Le carton d’invitation, précédant chronologiquement l’exposition, promet l’exposition. Mais l’adresse, nom propre de l’exposition, ne donne ainsi rien à attendre d’autre qu’une promesse non tenue. Ne pas tenir promesse pour maintenir la promesse. Construire les conditions d’impossibilité de l’exposition, pour TTrioreau, relève de cette u-chronie, rencontre toujours différée, ajournée, retardée, entre le spectateur et l’installation. Se déplaçant à l’adresse indiquée, le spectateur fait l’expérience d’une installation dont il ne sera pas, paradoxalement, le contemporain. Cette non-coïncidence s’exprime également par le dispositif spatial de couloirs et de cloisonnement, permettant à TTrioreau d’inviter et d’exclure à la fois le spectateur : de ne l’inviter que sur le mode de la séparation. Mais le problème, avant d’être celui de l’espace urbain (comme les titres semblent spontanément l’indiquer), est bien celui d’une temporalité équivoque, promettant et ajournant l’exposition. Promesse demeurée promesse, l’installation échappe, dans son mode singulier de présence, à tout présent – au présent de la coïncidence ou de la rencontre, kairos esquivé ou manqué. Ce procès de décalage temporel n’affecte pas seulement le spectateur, mais l’installation même, qui a pour objet d’interroger l’architecture depuis un point encore à venir : sa destruction.
Miroir _ Monté sur un rail coulissant, un caisson lumineux permet la mobilité de deux photographies Duratrans® de l’intérieur du site d’exposition proprement dit, vers l’extérieur, l’espace public urbain. Elément constitutif du dispositif, le caisson lumineux permet d’interroger ce partage intérieur / extérieur, prothèse greffée sur le corps du bâtiment. Le caisson mobile fonctionne comme une enseigne lumineuse, s’adressant aux passants et rendant public l’objet d’exposition. Pourtant, ce miroir est en lui-même problématique. De quelle architecture les photographies présentent-elles, au juste, l’image ? Le caisson lumineux, par son volume, est un agencement, et non une surface : il construit un rapport entre deux images, qu’il faudra interroger. Mais remarquons, pour l’instant, que ce miroir propose, en regard d’un bâtiment, un autre bâtiment. Ce bâtiment n’est pas seulement une construction située à l’extérieur du site d’exposition, mais une construction promise à la destruction. Le dispositif spéculaire autorise à parler d’installation ex situ. Le dispositif du caisson lumineux permet en effet à TTrioreau d’interroger le site investi, BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex, depuis son propre dehors, depuis une extériorité radicale, non pas un autre bâtiment, mais l’autre de toute architecture : son point d’effondrement.
Symptôme _ Regardant l’architecture depuis sa destruction (événement encore à venir), l’installation de TTrioreau lui porte un regard déjà posthume. L’équivoque du temps est donc double : promesse (la destruction aura lieu), l’image se présente également comme l’archive ou la mémoire anticipée d’un événement. Comment nommer cette seconde figure de la non-contemporanéité à soi de l’architecture ? La promesse dit l’imminence, le « pas encore », auquel doit être lié, sur un mode paradoxal, un « déjà là », qu’inscrit par avance le travail de TTrioreau . L’image du bâtiment est symptôme de sa propre destruction. La forme de la temporalité permettant à l’événement de retarder sur lui-même, ou de rester en attente de lui-même, est la formation du symptôme . Les deux photographies Duratrans® enregistrent cette attente, dont la destruction effective du bâtiment ne sera que l’expression posthume mais encore active, comme un impact longtemps retardé, venant de derrière, en amont. L’image proposée par TTrioreau reproduit la destruction sur le mode du contre-temps, propre au symptôme. Il s’agit de désorienter les relations de l’avant et de l’après, la destruction de l’architecture ne survenant que décalée, sans que nous puissions en décrire l’exacte contemporanéité. L’installation tente d’articuler ainsi un événement où plusieurs temporalités jouent contradictoirement à travers l’immobilité de l’architecture et de l’image photographique. Le présent de l’installation est composite : à la fois constitué par l’imminence de la promesse et par la survivance du symptôme.
Image _ Le caisson lumineux est la mise en rapport de deux images, photographies Duratrans®. Que signifie ce rapport ? S’agençant comme les deux faces du même dispositif, les deux images ne sont pas dans un simple rapport de juxtaposition. TTrioreau ne nous propose pas tant deux images distinctes, visibles successivement, mais, regardant le caisson comme rapport ou dispositif, l’expérience singulière de toute image. Qu’est-ce qu’une image ? Une image, c’est toujours deux images. Dont l’une, envers de l’autre, est bien, selon l’expression de Jean-Luc Godard, « a picture shot in the back » , une image prise de derrière. L’image apparaît depuis un point qui, sans être extérieur à l’image, est comme le dos de l’image, image derrière l’image. « Juste une image » : l’immanence de l’image ne renvoie pas à ce qui déborde son cadre (le hors-champ), mais à un contre-champ radical. La regarder serait alors pouvoir en regarder l’autre face ou l’envers. Mais TTrioreau en montre l’impossibilité : physiquement engagé dans un couloir, le spectateur de BP 297 - 9, rue Edouard Branly, 18006 Bourges cedex ne peut accéder visuellement à l’envers du caisson lumineux. Cette autre face, l’image prise de derrière, est l’autre de toute image, son étrangeté radicale, qui en forme pourtant l’immanence. L’image derrière l’image, sans réversibilité possible, décrit l’expérience singulière du voir. Maurice Blanchot dit : au fond des images, à partir duquel elles apparaissent, gît la nuit. Quel est ce « fond » d’invisibilité, cette duplicité de l’image artistique ? Dans un texte décisif , Maurice Blanchot désigne ce « derrière l’image », qui est l’image même, comme « fond d’impuissance où tout retombe ». L’image a le statut ontologique, comme pour Martin Heidegger, de mise à jour de l’étant en totalité. Mais pour Maurice Blanchot, l’être, à partir duquel apparaît l’image, n’est pas à proprement un « fond », c’est-à-dire un sol, une assise, mais : effondrement. L’œuvre d’art ne fait pas venir (herstellen) la terre en érigeant (aufstellen) un monde, tel qu’il est dit dans L’Origine de l’œuvre d’art, tension à partir de laquelle l’étant surgit et s’installe dans la présence de façon inaugurale. Si l’œuvre fait advenir la vérité, selon Martin Heidegger, c’est en ce sens : l’œuvre est la langue même de l’être, par laquelle tout ce qui est vient pour la première fois au paraître, fût-ce au prix d’une « secrète réserve », d’une dissimulation. Le mouvement, pour Maurice Blanchot, est inverse. Ce que nous entendons ordinairement par image doit être abandonné : un cadavre, comme étant singulier, est par excellence image. Etre livré au pouvoir des images, c’est en effet, de l’être, percevoir le désastre. Intimité sans intimité. L’image de l’architecture, chez TTrioreau, consiste bien en « l’apparition de l’original, jusque là ignoré » : non pas une image du bâtir, mais le rappel du bâtir comme image, c’est-à-dire comme effondrement. Dessous, derrière ou au fond des images : le terme sera ici nécessairement inexact. L’image est creusée par une « profondeur sans fond », un centre toujours ex-centré, qui décèle seul, loin des « objets » et du « réel », ce qu’il en est de l’être, un effondrement de l’ici, son désastre. Le contre-champ radical de l’image, proposé par TTrioreau, sous la forme d’une image derrière l’image, dit à son tour ce qu’il en est de l’architecture : détruire.
Renaud Rémond