solo exhibitions
1999 : Rue Massenet, 44300 Nantes, avec Vincent Protat - protaTTrioreau, Isabelle Le Doussal - commissaire de l’exposition, Ecole d’architecture de Nantes
La galerie de l'Ecole d'Architecture de Nantes, ouverte depuis une année et initialement dédiée à une programmation liée à l'enseignement de l'école, inaugure, avec l'intervention de protaTTrioreau, un autre type d'exposition orientée vers des champs créatifs voisins, en particulier celui de l'art contemporain.
Le travail de protaTTrioreau, issu de la réunion de deux jeunes artistes, Vincent Protat et Hervé Trioreau, s'inscrit dans une réflexion liée à la nature du réseau urbain.
Leurs propositions, installations spatiales et visuelles, agissent sur les structures même de l'espace construit. Elles mettent en place des déplacements qui perturbent et désignent, de façon politique, le caractère normatif de l'architecture.
La forme architecturale ne s'érige plus d'un sol mais à l'intérieur d'une expérience critique. Elle ne prend consistance et n'acquiert une réelle existence qu'au moment où elle met en jeu un dialogue au sein duquel l'image assume le rôle de vecteur communicationnel apte à déterritorialiser notre perception.
En jouant sur les modes de représentation de l'espace architectural, son échelle, ses limites, jusque sa réalité, protaTTrioreau entend révéler la pluralité et la mobilité des points de vue.
Central et prescriptif dans la perspective classique, l’œil est devenu mobile face à une nature désormais fragmentaire et contingente : passage de la tavoletta, le prototype par lequel l'espace moderne de visibilité s'est trouvé institué (à l'origine de la perspective), à la quadratura, une respiration spatiale ouvrant un infini dans l'architecture, la dissolvant dans la lumière, où l'espace feint se confond avec l'espace réel.
RUE MASSENET, 44300 NANTES, l'installation présentée à l'Ecole d'architecture de Nantes, réutilise le principe de 35, RUE MARCEL TRIBUT, 37000 TOURS, autre installation réalisée à Tours en 1998, dans une ancienne maison abandonnée. Elle est ici réactualisée en s'adaptant au nouveau contexte.
Dans cette lignée conçue à travers l'établissement de relations spatiales entre l'objet et l'architecture, RUE MASSENET, 44300 NANTES s'ordonne comme le récit, l'archive d'un événement qui n'a pas (encore) eu lieu : la destruction du bâtiment de l'Ecole d'architecture de Nantes, site donnant son titre à l'intervention.
Première phase du récit : une caméra de surveillance couleur, posée sur un vérin pneumatique télescopique, traverse le faux-plafond d'une salle pour détruire à l'étage supérieur l'intérieur de la maquette de ce même espace architectural ( l'Ecole d'architecture de Nantes ), en opérant un travelling vertical. Le film vidéo de la destruction, procédant à la mise en abîme du lieu, est retransmis à l'entrée, au-dessus du seuil de cet espace, que l'on découvre d'un point de vue peu habituel, traversé du sol au plafond.
La seconde phase de l'installation-récit aura pour cadre une galerie (Le Sous-sol, 9, RUE DE CHARONNE, 75011 PARIS) où seront exposées les archives de la destruction : le moniteur diffusant le film vidéo sera couché sur une photocopieuse couleur qui en reproduira les images. La stratification des copies (feuilles de plastique transparentes) reconstituera ainsi l'image inversée du bâtiment détruit et formera elle-même, par entassement, une architecture-palimpseste.
Investissant ces espaces, protaTTrioreau exhibent la production de structures anomales, ou irrégulières, immanente au champ de normalisation urbaine. L'architecture n'est statique que par l'identité contrôlée que celle-ci assigne. En proposant une perspective alternative, l'installation l'inscrit comme processus polémique. Elle interroge notre confiance en la solidité structurelle du bâtiment, en son immobilité et sa permanence, pour le décrire comme intervalle, passage ou transition.
Isabelle Le Doussal
protaTTrioreauRue Massenet, 44300 Nantes
L'installation de protaTTrioreau que l'Ecole d'architecture de Nantes a accueillie dans son lieu d'exposition « La Galerie » à l'initiative d'Isabelle Le Doussal est une intervention directement liée aux préoccupations artistiques contemporaines s'agissant des rapports entre l'architecture et la vidéo. Comment rendre compte des interactions entre l'image et la construction ? Par quels procédés peut être mise à jour cette question sans proposer d'autres types de constructions mais essentiellement une réflexion sur la construction et son rapport à l'image documentaire et de fiction ? La confrontation des figures de l'architecture moderne avec les possibilités de l'image vidéo, notamment à partir de la vidéo surveillance, présente une voie décisive pour mettre en avant les dimensions sociales, culturelles et économiques qui interagissent dans tout projet de construction et d'habitation. Le film vidéo sert d'outil de recherche pour extraire ce qui semble essentiel dans l'architecture à savoir son lieu plastique de fragilité. Lent travelling vertical au coeur du bâtiment : la succession des images se poursuit jusqu'à l'irruption, à l'étage supérieur, dans une maquette-reproduction de ce même bâtiment. Le vérin pneumatique sur lequel est fixé la caméra vidéo s'élève jusqu'à traverser le plafond puis détruire, au centre de la maquette, la reproduction de ce même plafond. Les spectateurs assistent, à quelques mètres de là, à cette éventration depuis un moniteur placé au-dessus d'eux. Toute cette installation vidéo tend à renverser les perspectives normées et les repères habituels en vue de fragiliser l'édifice par la dissolution des sens de lisibilité. La destruction filmée s'interprète comme une réflexion sur l'architecture dont l'ancrage conceptuel s'appuie sur un procédé littéraire : le palimpseste.
Dans le processus de « l'architecture-palimpseste », la destruction constitue la première étape, c'est-à-dire le moment de l'enregistrement sur bande vidéo. Il convient alors de reconstruire en ajoutant le signe explicite de cette fragilité. Ce second moment, évoqué oralement par protaTTrioreau lors du vernissage, consiste à recomposer image par image, en impression sur des feuilles rhodoïds transparentes, le film de la perforation à l'aide d'une photocopieuse couleur sur laquelle le moniteur vidéo projettera le film au ralenti. En strate, les feuilles rhodoïds reconstitueront alors l'image négative de l'intérieur du bâtiment puis de la maquette à mesure que le vérin s'élève, ou l'image positive de la destruction.
A l'Ecole d'architecture, les étudiants et le public venus constater le travail de protaTTrioreau se donnaient La possibilité d'assister à une réflexion sur l'architecture menée par deux artistes dont l'essence du travail peut être entendu invariablement dans l'horizon des préoccupations concernant l'image médiatique, le droit à l'image, la vidéo surveillance, les conditions normées de représentation sociale de la propriété privée, des lieux publics, des institutions, les documentaires sur l'architecture...
A l'effacement produit par « l'architecture-palimpseste », effacement des repères spatiaux et de l'image normée de la construction, correspond aussi le titre de l'exposition qui n'est en aucun cas « l'architecture-palimpseste », lequel reste uniquement le concept, mais simplement l'adresse postale du lieu détruit : RUE MASSENET, 44300 NANTES. Doivent alors demeurer exclusivement l'image et l'adresse afin que persiste l'idée par laquelle l'art entre toujours par effraction, ne laissant comme trace que l'empreinte intentionnelle du passage dans le lieu, avec ici, cela paraît évident, le singulier plaisir d'être intervenu dans une école où l'on apprend à construire durablement.
Jérôme Diacre
Zéro Deux, numéro 12, p. 4